Le Géant

Image : youcancallmepol (commission sur un concept) – je vais pas mentir ce texte est un brouillon qui est en cours de mise à jour (je l’ai posté un peu vite). Le retirer c’est déséquilibrer la mise en page


Il fut une fois sur le Mont des Merveilles, le retour du Géant. Plus éveillé depuis le Sac, on le disait Kybomant. Sa vie escomptée en cycles célestes, calligraphiée dans la Vallée des Cloches jusqu’à celle des Tambours, elle fut terrée à tous sauf aux Arrières. De mioches en mioches, les Cacochymes disaient de tradition orale : misère au Mont une fois le Kybomant sorti de son caveau. Mieux vaut jamais n’ouvrir sa Grotte.

Avant l’hiver de cette année, la Vierge envoya sa naine blanche pour se chauffer, descendre incognito lors d’un survol à son ourlet brumeux, retirer le Boulet à la Grotte. Eveillant le Géant d’un sommeil tutélaire, elle sortit par paires les plus pures de ses Thermoluminescentes, à faire bondir au réveil l’être spoilié sous la Montagne. Il s’en fallut d’une once que le Géant n’harponne, un pan du resquilleur au dernier pas en médisant; car il avait la droite à étrangler les sphères, les épingler d’un pouce à son collier au mur.

Pour les Minimes (car il ne connaissait que trop bien les Vallées), il s’annonça avec un premier rot sur la corniche, d’un coup de cuivre à faire frémir jusqu’aux Arrière-Arrières. Dans le sillage, la nuit festive prit fin.

Tout le Pays scruta vers l’Est; lors que Virgo prenait sa place, traînant son butin à même la sphère lunaire. Et c’est ainsi qu’on sut comment après un vol, la Vierge se cache toujours derrière la Lune.

A l’aube, on envoya les Viragos, suivis des fidèles Histrions, en première ligne, monter les treuils et les télécabines; zyeuter les gués à la recherche d’empreintes magnificentes. On annonça déjà de grands désordres dans la Vallée des Cloches et des Tambours.

Depuis toujours les constellations convoitent les joyaux du Mont des Merveilles, tape à l’érable l’Arrière en tête de la séance plénière. Pourtant encore tous leur font confiance. Doit-on rappeler à l’assemblée qu’il fut un temps où nos anciens communs durent affronter les astres à même la surface du Balaton, qu’elles en sortirent des armes légendaires et amenèrent le feu ? Les Histrions eux-mêmes jamais ne doutent des horoscopes pour diriger leur vie. Pourquoi doutent-ils des vieilles paroles ?

Et bien qu’en attendant l’avis de plus anciens Arrières encore, racrapotés sur leur bascule, on devina l’issue. Il faut trouver l’idée ! lança un des plus grands Minimes, au début d’un canon de rancoeur. Mais qui parmi nous trouverait encore l’idée ? Depuis le dernier cycle, ça courait plus les rues. On avait décidé d’arrêter avec tout ça, à la suite de trop graves conséquences.

Que celui qui sait lève le doigt ! L’un après l’autre, toute l’assemblée leva la main. Il faut calmer le Géant ! Qu’on le vêtisse d’offrandes pour qu’il retourne dormir ! L’Arrière s’énerva si bien sur ses Minimes, qu’on le sortit dehors et on l’assassina, sans doute sous le coup de l’émotion. Bientôt tout le monde fut en colère. Il faut un dévoué pour trouver une idée; cela, avant la venue du Géant sur la Vallée, qu’il écrasera nos étables à coup de botte, voir pire, nous fera hercher toutes ses berlines pour les conduits petits pour sa carrure. De toute manière, les Minimes tombaient toujours d’accord, alors l’Arrière-en-chef clôtura la séance de dix coups de marteau.

Sur ce, à l’une des Viragos du fond vint une causalité, entre le marteau d’érable et le bruit de cette hache à faire bondir dans les échos du loin. A l’idée on remplacera la force, se dit-elle pendant l’émeute; sans le vêtir d’offrande; s’éclipsant en cachette vers la Vallée aux Tambourineurs, où devait se trouver le plus légendaire bûcheron.

*

Sur le Mont des Merveilles, pour son premier dimanche de Pâques depuis sa mise au frais, le Géant jouait sa flûte, ses prophéties futures à coups de dés, interrompu seulement par des piaillements, des petits merles le prenant pour une bûche. Que vos chants m’ont manqué, dit-il aux oisillons; avant de les croquer.

Les trois derniers lancés, il voit une même issue, où l’on vient lui trancher la tête. Rien n’est écrit, ni sur la Terre, ni dans le Ciel, se rappelle-t-il. Le futur peut changer, même si curieux il entre sa Grotte en baillant, paré à faire un somme. Trouver des Minimes dociles pour mes minerais peut bien attendre un jour ou deux. Et j’aimerais voir ce que le vent m’amène.

*

Dans la Vallée des Tambourineurs, le bûcheron Tabouros sortait de sa Hêtraie. Débarquant les Fay sur ses épaules, il envoyait planer leur long sur son canal de flottage, creusé sur mille hectares à mains nues. Il acheminait les bois vers ses galeries, sous la montagne de l’Ourobourg. Aux frontières d’un chalet bordé de pins, son bois de chauffage faisait l’effet de la muraille de Chine. Aucun Tambourineur n’osait la ronde, n’osait huer quand de son œil il les visait des contre-allées, sniffant la peur et la désobéissance. On disait de la gueule de Tabouros qu’elle faisait aux fantômes claquer des dents. En toute saison et en toute hâte, il était susceptible de revenir prendre le pain; rôder dans l’Utland, dans son lederhose en Elk mythique, s’annonçant par le tranchant dandy de Tobourak, sa hache à douze pieds passant les conifères. Il avait fait comprendre assez clairement, à tout chasseurs-cueilleur passant sa terre, d’aller laver son slip; pour peu qu’il n’en gardait pas un pour se curer. On voyait son caleçon sécher, comme un bivouac d’entre-falaises, chaperonné par deux élus nommés lieutenants, avant que le perdant des courte-pailles n’aille déposer le sec près du campement à son empereur ultime.

La Virago savait ce qu’on disait sur le cador aux genoux cagneux: qu’en cas de sècheresse il lorgnait dans les pâquis pour manger du puceau ; assaisonné de saumure avant congèle dans son frigo, autant dire dans l’antre secondaire de son Hummock privé. La faisandé des barbecues faisaient pleurer les veuves dans leurs marmites. Inutile à dire qu’à tous les bleus il était souligné de trouver rapidement par où tremper sa flûte. Et quelle frayeur dans la Forêt lorsque sa hache traverse le haut des conifères ! Tous s’abstenaient du moindre taux d’alcoolémie, jetant la rébellion aux livres; de peur d’être grondés façon phase terminale ; satisfaisant par un minimum de plaisanteries ce que, pensaient-ils, Tabouros récompenserait en leur laissant la vie.

*

Tabouros fait sa ronde dans l’Utland, chantant la Traviata, lorsqu’à sa route intervient une naine. Ses pas de chasse-neige, comme trouant le lit cotonneux des voies, s’arrêtent; il renifle. Je suis ici, crie la Virago des Minimes, en plongée face à Tabouros qui sent encore à peine. Voyant la petite naine, il prend le pli de l’écouter.

Je viens au nom du Géant, roi du Mont des Merveilles, roi de l’Utland. Son retour annonce la fin de ton règne sur la Forêt. Si tu souhaites vivre encore un peu, je viens quérir ton allégeance, et celle de ta Vallée, en son nom. Cela, ou le Roi viendra couper ta tête pour en faire une théière et uriner dedans lors de problèmes gastriques.

Il ne fallut pas plus à Tabouros pour s’esclaffer du pire. Ne prenant pas la peine d’écraser la Virago et le voilà parti, dans une foulée plus folle que l’ours et le grizzly; faisant ployer le chêne après l’érable en un long aboiement. Que le Géant apprête ses fesses à mon coup de bottes, rugit-il.

*

Sur le Mont des Merveilles, le Géant s’étend. Sachant lire les possibles – le Kybomant – il attend la venue de cette annonce répétée par les dés. Il sait rien n’est écrit, mais la curiosité l’emporte. Y aura-t-il à ce cycle une nouvelle ère ? Il entend d’entre l’écho de la Vallée : à l’idée remplacera-t-on la force ?

Il s’étire encore un peu et finit par percevoir en bas, comme un nouveau chemin dans la Vallée, tracé par une furie féroce, lointain mais aperçu comme l’abattement d’un champ de maïs. Bientôt, elle tentera la montée du Mont des Merveilles et viendra tuer le Géant. Il rejoue les dès mais tombe cette fois encore sur la même certitude : il n’y aura plus personne devant la Grotte. Personne pour fermer l’antre ? Il s’étonne. Et les étoiles viendront chercher les perles !

Une dernière fois les dès sont unanimes : cette lame qui vient est la dernière. Elle lui tranchera la gorge pour l’empailler. Dans sa vision déjà il suit : l’Etoile de Feu tomber, les comètes virer leur course, amorcer la descente sur la Vallée des Cloches. Le feu viendra tout prendre. Peut-être devrait-il refermer la Grotte à temps, tel qu’à chaque cycle il a pris soin de faire, pour ne pas attirer les yeux vers le Mont des Merveilles; leur promettant ainsi la vie. Il range ses dès. Mais la curiosité l’emporte…

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